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Ce n’est pas ce qu’on s’était promis




Depuis des années, on avait l’habitude d’aller s’asseoir ensemble dans la balançoire extérieure qui se trouve juste à l’orée du parc, derrière notre maison de retraite. On pouvait y passer l’après-midi complet à se balancer tranquillement, parfois juste main dans la main, d’autres fois collés, ma tête sur son épaule.

 

On s’est rencontré en 1956, mais ce n’est qu’un an plus tard qu’on a commencé à se fréquenter et une autre année s’est écoulée avant qu’on se marie. On a toujours aimé raconter aux gens qu’on ne s’était pas du tout plu au départ; je le trouvais un peu trop extraverti et prétentieux et il me trouvait ennuyante, mais on a appris à se connaître et, finalement, on a réalisé qu’on était fait l’un pour l’autre. En 60 ans, on n’a jamais douté de nous et on s’est toujours promis qu’on n’allait jamais se quitter. Non, jamais.

Durant toutes ces années, on a eu l’occasion de vivre des choses magnifiques. On s’est marié lors d’une cérémonie modeste, entourée des gens que nous aimions, et on s’est gâté en partant une semaine pour faire le tour de la Gaspésie. On avait eu tellement de plaisir! Dans les années qui ont suivies, on a agrandi notre famille avec 3 magnifiques enfants, deux filles et un garçon. Ils sont devenus le centre de gravité de nos vies et notre amour n’en est devenu que plus grand. C’est quand même ensemble qu’on avait pu créer ces êtres humains si beaux, si adorables, si parfaits!

Évidemment, tout n’a pas toujours été rose. On a connu notre lot de disputes, surtout après l’arrivée de nos petits anges, qui pouvaient parfois être de vrais petits diables! Au fil des années, certaines habitudes de l’autre ont fini par nous énerver; ce qu’on trouvait mignon au début ne l’était plus autant après 10 ans, mais notre amour était plus fort que ces petites choses sans conséquence et nous avons fait du mieux que nous pouvions dans les situations et les épreuves qui ont été mises sur notre chemin.

Il y a quelques années, des problèmes tout autres ont été mis sur notre chemin, toutefois. Il a commencé à souffrir de quelques problèmes de santé. Rien de bien grave au début, mais ces derniers temps, ça s’est aggravé. Même si je ne me fais plus jeune moi-même, je me suis toujours occupée de lui au mieux de mes capacités. On a toujours été là l’un pour l’autre, autant dans les bons moments que les moins bons, mais désormais, il avait davantage besoin de moi.




Nos après-midis passés sur la balançoire extérieure du parc se sont transformés en quelques heures, puis en quelques minutes, puis en plus rien du tout. Il n’en avait plus la force. Parfois, j’y allais, seule, quand il était endormi et qu’il semblait paisible, juste pour reprendre un peu mon souffle et me reconnecter avec moi-même, mais j’avais du mal à le laisser seul. Finalement, j’ai cessé de me rendre à la balançoire aussi, ne voulant plus le quitter une seule seconde.

Puis est venu le jour où, après 60 ans de vie commune, nous avons été séparés; il était trop mal en point pour que je puisse m’occuper de lui moi-même. Son petit coeur malade, qui avait battu si fort durant tant d’années pour moi, pour nos enfants, pour la vie, avait du mal à battre simplement lui permettre de respirer. Durant des semaines, il s’est battu pour sa survie alors que je vivais toute seule dans notre petit appartement, qui me semblait tout à coup beaucoup trop grand pour moi. J’allais le voir tous les jours, midis et soirs. Je passais tout le temps possible à ses côtés. Parfois on parlait, on riait, on jouait aux cartes; d’autres fois il dormait et je le regardais, lui tenant la main. Nos petits anges, devenus grands maintenant, venaient régulièrement nous visiter aussi.

De jour en jour, son état se détériorait. Je revenais chez moi le soir, je m’assoyais sur le sofa ou dans mon lit, je fermais les yeux et je respirais. Je respirais, profondément, doucement, et je me repassais le film de notre vie dans ma tête. Ces magnifiques années que nous avons vécues à deux, ces merveilleux moments qui nous ont unis durant 60 ans. Présentement, je le savais, on était en train de créer nos derniers souvenirs.

Il nous a quittés un mercredi. C’était une belle journée d’été ensoleillée, pas trop chaude, juste parfaite. Comme il les aimait, avec une toute petite brise. Nous étions tous à ses côtés, nos trois enfants et moi, au moment de pousser son dernier souffle. J’avais le coeur gros. Ce n’est pas ce qu’on s’était promis; on ne devait jamais se quitter.

 

J’ai maintenant l’habitude d’aller m’asseoir dans la balançoire extérieure qui se trouve juste à l’orée du parc, derrière ma maison de retraite. Je peux y passer tout l’après-midi à me balancer tranquillement, les yeux fermés, à profiter de la douce sensation du vent et des rayons du soleil sur mon visage. Je pose toujours ma main sur la balançoire, à côté de moi, là où il avait l’habitude de se trouver. Dans ces moments-là, j’arrive à le retrouver un peu et à sentir qu’il est toujours là, près de moi.




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