31 octobre, 20h34. Alice est retrouvée morte.
Intervenante dans une maison pour personnes ayant des troubles intellectuels ou étant inaptes à vivre seuls, elle avait convié ses 6 résidents à une soirée d’Halloween qu’elle leur avait promis très spéciale.
La résidence se situait sur un immense terrain avec, au fond, une vieille grange inutilisée depuis quelques années, excepté pour y entreposer quelques vieilles babioles ou de vieux meubles.
Alice leur avait dit de rester à la résidence pour n’en sortir qu’à 20h30 tapant pour la rejoindre dans la grange.
Il fait noir. L’absence de lampadaire derrière la propriété les empêche de voir quoi que ce soit. 20h31. D’un coup, une rangée de lumières tamisées s’allume, chacune tenue par des squelettes encapuchonnés, en même temps qu’une musique aux accords crissants, entremêlés de cris et de sons inquiétants, s’élève. Les lumières oscillent au rythme saccadé de la trame sonore. Le vent siffle à travers les branches des arbres et les dépouille des quelques feuilles qui leur restent; le sol craque sous leur pas. Les 6 résidents frissonnent, autant de froid que d’inquiétude. Ils approchent de la grange. Ils voient quelques lueurs s’échapper d’entre les planches usées. La musique semble continuer à l’intérieur de la grange. Le tonnerre gronde. La pluie commence à tomber. Le groupe court pour se réfugier à l’intérieur.
Une fois la porte refermée, une sorte de tic-tac se met en branle. Les lumières sont éteintes; de nouveau, ils sont plongés dans l’obscurité.
– Alice?
Aucune réponse.
– Alice? Merde, j’ai peur!
– Moi aussi!
Un éclair frappe tout près et éclaire la grange. Et c’est là qu’ils la voient. Alice. Morte.
***
Laurent savait qu’Alice voulait seulement l’aider et lui rendre service. Oui, il le savait. Mais Lui, celui qui est toujours là, dans sa tête, qui connaît tout de lui, qui ne le laisse jamais tranquille, Lui, il lui répétait le contraire. Laurent ne savait plus quoi penser. Ce qui est arrivé, c’est de sa faute à Lui, pas la sienne. Non, ce n’est pas sa faute, parce que tout ça ne serait jamais arrivé s’il l’avait laissé tranquille.
9h00. C’est l’heure du déjeuner, tout le monde ensemble. Vu la journée, et surtout la soirée qui les attend, l’ambiance est beaucoup plus dynamique et fébrile que d’habitude. Même Julien et Vivianne se mêlent aux conversations.
– Allez, dis-nous ce que t’as préparé!
– Si je vous le dis, ça ne sera plus une surprise!
– Mais on veut savoir!
– Est-ce que ça va faire peur? J’aime pas trop ça avoir peur…
– Mais tu dis n’importe quoi! C’EST PAS VRAI CE QUE TU DIS!
Laurent s’est levé de sa chaise et s’est mis à crier, tout d’un coup. Depuis tout à l’heure, il marmonnait un peu, mais pas plus que d’habitude.
– Je te parlais même pas!
Comme s’il sortait de la lune, Laurent se rend compte que tous les regards sont sur lui. Un moment de malaise s’installe, alors qu’il les regarde tout à tour, Kim, Julien, Marie, Francis et Vivianne, l’air piteux. C’est encore Lui. Lui, qui lui raconte des bêtises. Depuis quelques jours, c’est pire. Il le rend fou.
– Désolé. Je te parlais pas non plus, Marie.
En disant ces mots, Laurent était déjà sorti de table et se dirigeait vers sa chambre.
Laurent s’était caché sous ses couvertures, la tête sous l’oreiller, recouvrant ses oreilles, comme si ça pouvait faire taire cette voix.
– Fous-moi la paix!
– Laurent, est-ce que ça va?
Alice l’avait suivi et semblait inquiète. Mais pour le moment, il n’avait pas la force de lui parler. Il voulait juste être seul. Sans elle et, surtout, sans Lui.
– Laurent, qu’est-ce qui se passe? C’est encore Lui? Parle-moi, Laurent, dis-moi ce qu’il te raconte, je ne peux pas t’aider si tu ne me parles pas.
– LAISSE-MOI TRANQUILLE!
Laurent hurlait. D’un bond, il est sorti du lit et a couru hors de sa chambre, bousculant Alice au passage. Le bruit suivant était celui de la porte menant au jardin. Elle avait essayé plusieurs fois de parler avec Laurent ces derniers jours, parce qu’elle voyait bien qu’il avait changé un peu, que la petite voix dans sa tête prenait plus de place et qu’il semblait vouloir s’éloigner d’elle. C’était le moment de régler tout ça, avant que la situation n’empire encore plus.
L’orage bat son plein. Laurent est sorti de la grange aussi vite qu’il y était entré il y a à peine une minute. Parce qu’il l’a vue. Elle. Alice. Morte. À cause de Lui. S’il n’avait pas les souvenirs de cet après-midi qui tournaient en boucle dans sa tête, il aurait cru qu’elle dormait. En fait, juste avant d’entrer dans la grange et d’être en face de son crime, il était convaincu qu’Alice avait simplement fait une sieste et qu’elle allait les accueillir dans la grange, à 20h30, comme prévu. C’était Lui qui lui avait dit ça. Encore Lui. Toujours Lui. Et une fois de plus, il l’avait cru. En passant dans l’allée des squelettes, quelques instants plus tôt, il avait eu une drôle d’impression, comme si Alice pouvait être n’importe lequel d’entre eux. «Mais non, niaiseux, Alice nous attend dans la grange», s’était-il répété à lui-même. «Ben oui, elle est dans la grange, elle dort. Pour longtemps.», qu’Il disait. Il continuait de se convaincre, même si quelque part, il savait que quelque chose clochait.
La pluie coulait sur son visage, se mêlant à ses larmes. Il criait son nom. Alice. La seule qui avait voulu l’aider.
– T’aider? Elle voulait te débarrasser de moi, tu n’as pas encore compris?
– Elle serait encore vivante si t’étais pas là!
– Elle s’est seulement endormie pour très longtemps, c’est différent, Laurent. Tu ne lui as pas fait mal, tu as vu ses yeux quand elle s’est endormie? Elle a accepté ce qui lui arrivait. Et tu l’as vu, il n’y a presque pas de marque sur son cou. Tes mains n’ont été qu’une douce caresse, sa dernière caresse.
– Arrête, arrête, ARRÊTE! C’est toi qui devrais mourir!
Entendant le monologue de Laurent, tous les autres sont sortis de la grange pour voir ce qu’il se passait. Sous le choc, ils le regardaient, essayant de crier, de parler, injuriant quelqu’un qui n’était pas là, mais ses mains autour de son cou l’étouffaient. Ils l’ont tout regardé et vu s’écrouler sur le sol, la pluie martelant son visage. La voix dans sa tête l’avait tué, lui aussi. C’était sa faute, à Lui. Encore Lui. Toujours Lui.